Quelques jours après les fêtes, les manips ont repris. Augustin, l’un des deux ornithologues de l’île était sur base pour deux semaines. Alors que je remontais, d’une matinée photos à la cale, je l’ai croisé étrangement vêtu. C’est alors qu’il m’a expliqué qu’il allait profiter d’être sur base pour baguer dix Skuas de ce côté de l’île. Comme il devait les baguer proche de la base, il a choisi la zone de la cale et de la MAE pour trouver plus facilement des spécimens et n’avait donc pas besoin de poser de fiche de manip. Je lui ai proposé mon aide, pour le lendemain matin, si jamais il n’avait pas réussi à faire tous les oiseaux ce jour-là.
Les Skuas sont des oiseaux charognards qui profitent de la période des naissances, pour se faire un festival de festins. Entre les placentas des otaries, les petits pups qui ne survivent pas à leur premier jour, ceux qui se font écraser par les mâles qui protègent leur harem, etc… les skuas profitent chaque jour de la dure loi de la nature.
Augustin était confiant car, lors de la sa campagne d’été à Entrecasteaux, de l’autre côté de l’île, il avait capturé et bagué dix skuas en une demi-journée. Seulement voilà, à Entrecasteaux les skuas ne sont pas habitués aux humains et ils restent au sommet de la chaîne alimentaire. Peu habitués à être chassés, ils ne craignent pas l’homme et se laissent approcher facilement. Alors qu’à la cale, proche de la base, ils connaissent notre espèce et bien qu’habitués à notre présence, ils ne souhaitent pas nous voir approcher. Cet oiseau opportuniste guette les hivernants qui vont à la pêche, pour essayer de chaparder leur part mais il reste toujours à une distance raisonnable. Donc, le soir même, Augustin m’a invitée à l’accompagner le lendemain, car il n’avait réussi qu’à capturer un seul individu, la tâche s’annonçait beaucoup plus longue que prévue, pourtant les skuas sont nombreux dans le secteur.
Le lendemain matin, je l’ai rejoint au labo ornitho avec Cyp qui avait décidé de nous accompagner. Il nous a fourni des fléxos biosécurisés. Sur l’île, il y a des flexos dédiés à chaque espèce, afin que l’homme ne soit pas le vecteur de transmission de maladie d’une espèce à une autre.
Nous nous sommes donc installés au déversoir, zone proche d’une crèche (lieu de rassemblement de pups durant l’absence de leur mère partie chasser en mer). Nous avons localisé plusieurs spécimens rodant dans le coin.
Cyp et moi sommes restés près du matériel, pendant qu’Augustin approchait discrètement d’un oiseau. Il s’est finalement accroupi puis a étendu sa canne télescopique jusqu’à proximité du skua, au bout de la canne une cordelette avec un nœud coulant permet de piéger l’oiseau, sans le blesser le temps que l’ornithologue le capture. Augustin a enchaîné les tentatives toute la matinée. Les skuas sont naturellement curieux, beaucoup ont joué avec la ficelle de la canne télescopique mais aucun ne s’est laissé prendre. Avant la fin de la matinée, Augustin a aussi posé des collets, à deux endroits où les skuas avaient l’habitude de venir se poser, là encore, ils ont joué avec les cordelettes mais aucun ne s’est fait avoir. Ces oiseaux ont mis notre patience à rude épreuve, toute la matinée, ils ont finalement eu raison de nous. Nous sommes donc rentrés, à midi, complètement bredouilles, mais pas découragés pour autant. Cyp et moi avons proposé à Augustin de revenir dès le lendemain matin pour d’autres tentatives. Ce jour-là, dans l’après-midi avec d’autres manipeurs, il a réussi à baguer deux skuas supplémentaires.
Le lendemain matin, nous sommes donc revenus, à notre poste de guet, espérant avoir plus de chance que la veille. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la première heure ne fut guère plus brillante que la veille. Malgré tout, cette manip restait plaisante car, nous étions au milieu des otaries et le spectacle est toujours au rendez-vous.
Au bout d’une heure, Augustin a finalement réussi à capturer un skua. Il est alors venu me le poser sur les genoux. Je n’avais jamais eu d’oiseau aussi grand entre les mains. En effet, le skua mesure entre 52 et 65 cm de long, il peut atteindre 140 cm d’envergure pour une masse de 1,6 Kg. Il m’a expliqué comment je devais l’immobiliser en douceur, afin qu’il puisse le baguer. Ses pattes reposaient sur mes genoux, mes mains maintenaient ses ailes pliées en position de repos, sa tête se trouvait entre mon flanc et mon coude, limitant ainsi son angle d’observation et ses mouvements.
Le skua est un oiseau calme, pas besoin de serrer, si ses mouvements sont limités il n’essaie pas de bouger et se laisse manipuler. Comme pour les otaries, le temps de manip est limité, pour déranger le moins possible les animaux. C’est pour cela que tout le matériel est préparé à l’avance. Augustin a donc commencé ses observations dès l’instant où il m’a confié l’oiseau, mesure d’une pâte, d’une aile, du bec, pose d’une balise GPS et d’une bague. L’ensemble des manipulations n’a pas excédé les cinq minutes, alors l’ornitho a récupéré l’oiseau afin de le relâcher à quelques pas de nous. Je m’attendais à ce qu’il s’envole le plus vite possible mais pas du tout, l’expérience ne semblait pas l’avoir perturbé le moins du monde, il est resté à côté de nous, à nous observer ranger, biosécuriser nos vêtements et préparer le matériel pour le prochain oiseau.
Dès que tout fut prêt, Augustin a repris sa place pour tenter de capturer un autre spécimen et nous avons repris notre contemplation de la nature qui nous entourait.
Nous avons eu la surprise de voir un habitant des côtes sud se promener entre les rochers. En effet, alors que nous cherchions un skua un peu moins méfiant que les autres, c’est finalement un manchot gorfou sauteur que nous avons pu observer. Cela fait déjà plusieurs années que les gorfous ne nichent plus sur la côte nord de l’île. Bien que pendant des années, il y ait eu des colonies à proximité de la base, leur espèce disparaît de manière inquiétante. Les rares colonies restantes sont localisées à Entrecasteaux. C’est donc un événement rare de voir un individu choisir le nord pour venir muer. Comme à chaque manip, j’étais équipée de mon appareil photos et avec l’instinct du photographe, j’ai pu m’approcher discrètement, pour l’observer de plus près et le prendre en photo. Restant immobile et le mitraillant à chaque mouvement, il n’a pas prêté attention à moi et est passé à proximité, m’offrant ainsi la chance de l’observer sautiller de rocher en rocher tout en slalomant entre les otaries. L’hivernage est fait de moments extraordinaires qui resteront gravés dans nos mémoires et pour certains sur la pellicule…
Peu de temps après, nous avons réussi à capturer un deuxième oiseau. Cette fois-ci, c’est Cyp qui l’a maintenu. Et j’ai pu en profiter pour lui offrir quelques clichés souvenir de cette manip. Nous n’avons pas eu d’autres oiseaux, ce jour-là. Augustin a dû y retourner, tous les jours, pendant une semaine pour finalement réussir à baguer dix individus.
J’ai adoré aider Augustin sur ces deux demi-journées, c’est la première fois que je tenais un oiseau de cette taille, ils sont tellement calmes, c’était super ! La patience est toujours récompensée, même si les temps d’attente étaient incroyables : le spectacle des otaries et des pups de tout juste quelques jours qui tètent leur mère et ce petit gorfou sauteur qui nous a surpris par sa présence. L’hivernage s’embellit de jour en jour. A la fin de chaque manip, je rêve de la suivante, toujours curieuse de savoir quelle sera la prochaine surprise, le prochain moment incroyable. Peut-il y avoir encore mieux, encore plus beau ? En France, il m’arrivait d’en douter, ici jamais !