Et Pourquoi Pas : Passer 10 jours à Entrecasteaux?

Dès le lendemain de notre arrivée, j’ai récupéré un flexo et des bottes réservées à cette zone afin de ne pas propager des graines et des maladies qui ne seraient pas présentes sur ce site. Ensuite, j’ai accompagné Augustin dans les colonies d’albatros à bec jaune, pour cela il fallait monter une pente très raide en s’aidant de la végétation. Il m’a fallu presque 20 minutes la première fois pour arriver en haut.

Pour cette première journée, notre but était de recenser les poussins d’albatros à bec jaune qu’il avait identifié la dernière fois pour savoir lesquels avaient survécu. Les albatros à bec jaune, tout comme les albatros d’Amsterdam, n’avaient pas de prédateur à terre jusqu’à l’importation par l’homme des rats. Ils nichent donc directement à même le sol. Nous avons donc zigzagué dans la colonie, cherchant les nids marqués pour savoir s’il y avait des petits dessus. Comme ceux-ci sont encore trop jeunes pour se déplacer, on sait que si le petit n’est pas sur son nid, c’est qu’il est décédé. Les skuas qui sont des oiseaux charognards mettent moins de 24 h à faire disparaître un cadavre. Nous avons identifié 61 poussins vivants sur des nids marqués, 61 sur les 200 marqués au moment des naissances.

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Le taux de mortalité est inquiétant et c’est pour cela que le programme 1151 ECOPATH étudie ces oiseaux. Ils ont d’ores et déjà identifié qu’une maladie décimait les petits : le choléra aviaire et ont tenté une campagne de vaccination pour essayer de sauver l’espèce. Afin de ne pas entacher le travail des ornithos avec une explication approximative, je vous laisse lire sur le lien suivant les études qu’ils mènent avec le programme ECOPATH.

Augustin l’ornitho du programme 1151 sur Amsterdam, suit un cursus en biologie à ENS. Il est le plus jeune de la base et il est déjà très professionnel. Il a été choisi pour ses compétences et son sérieux. Au moment de son recrutement, il était le plus jeune bagueur d’oiseaux de France. J’avais déjà eu l’occasion de le voir travailler. Il a les gestes sûrs et posés, il reste calme quelles que soient les circonstances. Il ne s’agaçait pas de notre ignorance, bien au contraire, il nous éclairait volontiers. Il est pédagogue et répondait à chacune de nos questions avec précision. C’est agréable de voir un jeune de 22 ans aimer à ce point ce qu’il fait. Il a choisi son métier par passion. Si seulement tout le monde pouvait aimer son métier à ce point.

Lors de notre séjour, nous avons donc aidé Augustin à effectuer des pesées et des relevés biologiques sur les poussins. Les données recueillies permettront d’affiner les recherches sur la cause de mortalité et le mode de propagation de la maladie, ainsi qu’un suivi des populations. Nous avons profité de notre séjour pour échantillonner des adultes bagués les années précédentes.

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Dans les taches moins glamours, Augustin a dû réaliser des autopsies sur tous les individus que l’on découvrait morts. Celles-ci prenaient une heure et devaient être effectuées immédiatement après la découverte du corps et sur place pour ne pas contaminer les échantillons récupérés. J’ai dû effectuer un reportage photos de chaque étape d’une autopsie afin que l’ornitho puisse réaliser une fiche technique documentée de ce protocole.

Depuis quelques années, les ornithologues pensaient que le choléra aviaire n’était pas la seule cause de mortalité et soupçonnaient les rats de s’en prendre aux poussins mais sans preuve, tout ceci ne restait que spéculations. Lors de notre séjour, nous avons pu apporter la preuve que les rats sont bien l’une des causes de mortalité des poussins albatros à bec jaune. En effet, ceux-ci s’attaquent aux petits par derrière et commencent à les dévorer vivants jusqu’à la mort du poussin. Nous avons été témoins en direct de ce phénomène et nous avons ainsi apporté toutes les preuves de la présence de ce comportement meurtrier sur Amsterdam. Cette scène que j’ai dû filmer et dont je me serais volontiers passée, permettra d’appuyer les futurs projets d’éradication qui sont en cours d’élaboration pour ce mammifère introduit par l’homme.

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Pour réaliser ces études, nous sommes montés tous les jours dans les colonies. Nous partions le matin et commencions à échantillonner les poussins dès notre arrivée. L’un de nous faisait le scribe, il notait les adultes bagués que l’on voyait, ainsi que les données physiologiques des poussins relevées par l’ornitho (poids, taille des ailes, des plumes…). Le deuxième manipeur tenait le poussin pendant qu’Augustin effectuait les relevés, puis il désinfectait les instruments et les habits avant de passer au petit suivant. Si nous croisions un adulte bagué qui faisait partie de la liste à échantillonner, nous prenions le temps de le faire entre les poussins.

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L’avantage avec ces oiseaux qui n’ont pas de prédateur au sol, c’est qu’ils ne s’inquiètent pas de notre présence et lorsque nous passions à quelques centimètres d’eux, c’est tout juste s’ils se méfiaient. Ainsi nous pouvions évoluer au milieu de la colonie sans les faire fuir. Les petits ne se débattaient pas, ils claquaient juste du bec pour essayer de nous faire peur, mais bien que cela pince, ils manquaient encore de puissance pour nous faire réellement mal. Avec eux, il fallait juste faire attention car lorsqu’ils sont inquiets, ils peuvent régurgiter leur déjeuner. En plus du fait que ce n’est pas très agréable de recevoir des écrevisses et des calamars prédigérés sur le flexo, c’est surtout embêtant pour le poussin qui perd alors l’un de ses repas. C’est pourquoi, si nous apercevions l’un des poussins à échantillonner en train de prendre son repas, nous différions alors l’intervention pour qu’il puisse le digérer.

Avec les adultes, c’est une autre histoire, ils ne sont pas plus méfiants mais plus mobiles et n’ont pas spécialement envie de se laisser manipuler. C’est pour cela que c’était toujours l’ornithologue qui se chargeait de les attraper. Ensuite, il les déposait sur nos genoux pour qu’on les maintienne pendant les relevés. Contrairement aux petits qui restaient calmes, posés sur nos cuisses, les adultes se débattaient et ils avaient de la force dans les ailes et le bec. C’est pour cela qu’il y avait une position précise à respecter qui permettait de les maintenir sans leur faire mal. Lors des premières manipulations d’adultes, j’étais un peu inquiète à l’idée de trop serrer et du coup l’un des adultes a réussi à tourner la tête et à me pincer le flanc. J’ai naturellement eu un mouvement de recul et il en a profité pour me pincer le doigt. C’est Augustin qui avec son calme habituel l’a replacé comme il faut. Je m’en suis sortie avec deux belles entailles. C’est ainsi que j’ai appris que si l’on restait ferme sans bouger ni lui faire mal, lui ne s’épuiserait pas à se débattre et se contenterait d’attendre que cela passe.

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Vers midi, nous déjeunions à quelques mètres de la colonie avant de faire une courte sieste. N’étant pas vraiment adepte des siestes, je profitais d’être là pour faire des photos et des vidéos. J’étais limitée par la taille de mes deux cartes mémoires pour les 12 jours, vu qu’il n’y a pas d’ordinateur en cabane, mais avec 16 Go de mémoire, je savais que je pouvais tenir. J’adorais ces moments où j’étais à l’affût de la photo parfaite, cachée dans la végétation, je guettais les adultes au décollage, un poussin qui étendait ses ailes duveteuses, un adulte qui revenait nourrir son petit, deux adultes qui se faisaient la cour…

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Le retour de l’un des parents auprès de son petit est un spectacle attendrissant. Ils font plein de petits bruits et se frottent le bec l’un contre l’autre. L’adulte fait la toilette du poussin, mais s’il commence par cela, le poussin s’agite en lui réclamant de la nourriture et finalement il obtient gain de cause.

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La parade entre les adultes est un spectacle tout autant sonore que visuel. Le mâle commence par écarter les plumes de sa queue, puis incline assez rapidement la tête d’avant en arrière en chantant et en dévoilant son magnifique sourire jaune. Si la partenaire est satisfaite, elle répond de la même façon.

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A la fin de la pause, nous finissions le travail du jour avant de redescendre. Une fois de retour à la cabane, les manipeurs se chargeaient de nettoyer tout le matériel pendant qu’Augustin mettait ses échantillons en culture et préparait le matériel pour le lendemain. Une fois la journée finie, c’était relâche et la vie de cabane reprenait son cours.

A Entrecasteaux il y a une douche solaire. En plein été, il ne fait pas froid, on transpirait beaucoup dans les colonies, engoncés dans ces flexos qui ne respirent pas. La douche tiède avec vue sur la cathédrale dans le soleil couchant était un moment privilégié. Je n’ai jamais autant aimé prendre des douches que devant ces paysages époustouflants. A ETX, toutes les commodités se font face à des paysages à couper le souffle, on n’a qu’à choisir le côté mer ou le côté montagne.

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Une fois propres, on attaquait l’apéro en préparant le repas. La cabane est très bien approvisionnée et il y a de l’électricité grâce à un panneau solaire et à un petit groupe électrogène. En cabane, on retrouve le plaisir de préparer un bon repas par nous-même, on fait même du pain maison. La recette d’Augustin est à tomber.

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Aussi souvent que possible, nous profitions du coucher de soleil sur la cathédrale et nous avions même réussi un soir à voir le rayon vert. Sur base, nous ne pouvons pas profiter ni du lever, ni du coucher de soleil, alors à ETX nous les avons tous faits. Une fois le dîner pris, nous faisions quelques parties de Camelot, ou nous lisions avant une bonne nuit de sommeil bien méritée.

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C’est ainsi que chaque matin nous repartions dans les colonies. Une fois là-haut, la vue est imprenable sur toute la zone, de la via ferrata jusqu’à la cathédrale. J’ai observé l’océan pendant des heures depuis les colonies.

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Je restais assise là à regarder les albatros virevolter avec grâce dans les courants d’air. J’adorais essayer d’avoir des photos d’albatros en vol.

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Où que je regardais, le spectacle battait son plein. Il y a même des moments où je me perdais dans la contemplation, je laissais l’appareil photo de côté et je remplissais ma tête de souvenirs inoubliables.

Il y a tout de même une chose à laquelle il fallait faire attention, c’est que l’albatros bat très peu des ailes et se sert de ces courants d’air pour monter. Alors quand il se pose, il a tendance à se laisser tomber de manière approximative, ça peut être sur son nid, celui d’à côté ou la tête d’un hivernant qui passait par là.

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En rentrant le troisième jour, nous avons décidé d’aller prendre quelques photos des gorfous sauteurs sur la plage. Ils étaient vraiment trop drôles à slalomer prudemment entre les otaries. Ils se déplaçaient en groupe et tentaient de trouver des places où ils ne se feraient pas embêter. Ils sautillaient partout, glissaient, se rattrapaient avec le bec. Leurs sourcils jaunes étaient plus ou moins longs et leur donnaient parfois un air méchant, mais leurs cabrioles les rendaient surtout très drôles à observer. Certains d’entre eux muaient et restaient donc à l’écart de l’eau, ils paraissaient alors tout ébouriffés et bien moins sexy.

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Le cinquième jour, alors qu’il ne nous restait que trois poussins à échantillonner, un coup de vent a emporté nos listes. Augustin est parti à leur recherche, mais n’a pas pu tout retrouver. Heureusement la feuille avec les relevés de données ne s’était pas envolée. Le soir, on a dû se faire énumérer par radio la liste des bagues qui nous manquaient, ça a été long, très long… Le septième jour au détour d’un nid, j’ai finalement retrouvé notre liste qui s’était coincée dans la végétation.

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Le huitième jour, nous avons eu notre unique jour de mauvais temps du séjour. Pour des raisons de sécurité pour les animaux, nous ne pouvons pas les manipuler lorsque leur duvet ou leurs plumes sont mouillées, elles perdraient leur étanchéité et ils risqueraient de mourir de froid. Nous avons donc passé toute la journée à la cabane à jouer à des jeux de société et à lire. C’est dans ces moments de déconnexion totale que l’on se rend compte que dans notre société on ne sait plus s’occuper. C’est quand on a le moins de choses à disposition que l’on s’ennuie le moins. Nous ne nous sommes pas ennuyés une seule seconde. Nous en avons même profité pour cuisiner un hachis parmentier.

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Ce jour-là, nous avons fait le compte de ce qu’il nous restait à faire et étudié la météo des prochains jours. C’est alors que nous avons décidé de rentrer 2 jours plus tôt. Je n’ai donc finalement passé que 10 jours à ETX.

Le 10ème jour, nous nous sommes remis en route après avoir tout rangé. Je savais que la journée n’allait pas être facile. Mes bottes étaient éventrées et tout ce que l’on avait descendu à l’aller, il allait falloir le remonter, soit 740 m de dénivelé en 3 km. A ma grande surprise, le Vietnam, la via ferrata et les mains courantes sont passés assez vite, mais j’avais oublié la partie entre la salle à manger et le Pignon. C’est là que j’en ai finalement le plus bavé, même si les photos d’Augustin de moi en train de monter les mains courantes pourraient faire croire le contraire. A l’aller, on pouvait toujours se laisser glisser sur les fesses lorsque la marche était un peu haute, mais au retour, lorsque l’on se retrouvait face à un mur de végétation de deux mètres, il ne nous restait plus qu’à tirer fort sur les bras. Les sacs nous tiraient en arrière mais pas question de lâcher ! Augustin a profité de notre remontée dans les mains courantes pour nous montrer un point de vue sur les terres rouges de Del Cano. Une fois au Pignon, nous avons déjeuné. Le temps était plus couvert qu’à l’aller et nous avons vu moins d’oiseaux. Puis nous avons entrepris la descente de retour vers la base sans faire de halte à la Dives. Ce trajet  nous aura pris deux heures de moins qu’à l’aller, mais il aura malgré tout duré 8 h. Je suis arrivée totalement crevée mais je pensais déjà à l’éventualité d’y retourner.

On vit vraiment à un autre rythme en cabane. On est autonome pour tout. La vie à trois, de l’autre côté de l’île, est très paisible. Le Pignon est le plus beau des points de vue. La Dives est à faire et ETX…. Je n’ai plus assez de superlatifs pour le décrire. J’ai aimé chaque seconde passée là-bas, que ce soit les moments passés en cabane, ceux dans les colonies à manipuler ces oiseaux uniques au monde, ceux passés à observer l’océan et les otaries qui surfaient dans les vagues, ou encore ceux avec les gorfous sauteurs. Les paysages y sont splendides et la vue époustouflante. Il y a de magnifiques couchers de soleil et les nuits claires sont illuminées de milliers d’étoiles qui nous apparaissent pleinement en l’absence de pollution lumineuse. Vous l’aurez compris, cette manip de 10 jours restera gravée dans ma mémoire comme la meilleure de mon hivernage. Je ne regrette rien à part peut-être le fait de ne pas avoir de photo des nuits étoilées. Mais j’ai préféré profiter et graver ces images dans ma mémoire. Cette expérience a été une vraie reconnexion avec la nature. J’ai réappris à apprécier de ne rien faire à part profiter pleinement de ce qui m’entoure.

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Le site d’Entrecasteaux vaut toutes les peines que l’on se donne pour s’y rendre. Rien que pour cette manip, l’hivernage vaut la peine d’être vécu. J’espère pouvoir y retourner même si c’est loin d’être garanti et très certainement pas pour tout de suite. Pourquoi pas pour une manip gorfous ?

 

 

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